La stratégie des intégristes
La stratégie des intégristes en France consiste d’une part à réislamiser par la force les personnes d’origine musulmane, et d’autre part à séparer les croyants (les vrais musulmans) des " mécréants ".
Gilles Kepel, spécialiste du monde arabo-musulman et professeur des universités à Science Po Paris, décrit ici cette posture tenue par les salafistes :
« Hostiles à la participation à la vie associative comme institutionnelle en « terre de mécréance », les salafistes s’investissent dans un bornage territorial des zones où se déploie la réislamisation qu’ils contrôlent. (…) On peut observer un exemple saisissant dans l’un des bastions du salafisme français, sur la dalle des cités HLM d’Argenteuil, dans la banlieue nord de Paris, où l’on a parfois du mal à se rappeler qu’on se trouve dans l’Hexagone tant est prégnant, à l’œil nu, l’ordre moral d’un rigorisme islamique. (…) Là les salafistes de toute persuasion repliés sur leurs camps retranchés fuient la société, qui participe selon eux d’une mécréance contre laquelle ils doivent s’immuniser. »3
Cette double action est particulièrement visible dans les lieux de « rencontre obligatoire » entre musulmans et " mécréants " comme peut l’être l’école publique.
Le rapport du Ministère de l’Éducation Nationale sur « appartenance religieuse dans les établissements scolaires » illustre cette stratégie. Prenons deux exemples tirés de ce rapport dans chacun des domaines :
Exemples concernant la réislamisation par la force des personnes d’origine musulmane :
« Le mois du Ramadan est l’occasion d’un prosélytisme intense au sein des établissements. Dans certains collèges il est devenu impossible pour les élèves dont les familles sont originaires de pays dits musulmans de ne pas se conformer au rite, y compris dans le cas où les parents demandent explicitement à l’administration que leur enfant continue de manger à la cantine. En témoignent ces reliefs de repas qui souillent fréquemment les toilettes, ces démissions d’élèves et, plus dramatique, cette tentative de suicide d’un élève soumis aux mauvais traitements de ses condisciples. Sous ce type de pression, ou plus simplement pour se conformer aux normes du groupe, certains élèves d’origine européenne observent aussi le jeûne sans que leur famille en soit forcément informée. »4
« Dans beaucoup de collèges visités, le vêtement des filles, ainsi que leurs « moeurs », sont l’objet d’un contrôle général. Ainsi, dans certains établissements les jupes et robes sont « interdites », la tenue sombre et ample est imposée à toutes. Il est fréquent que les jeunes frères et plus largement les jeunes élèves garçons soient chargés de la surveillance vestimentaire et morale des filles, les plus âgés se chargeant de les punir, le plus souvent à l’extérieur de l’établissement mais pas toujours ; ainsi nous a-t-on signalé plusieurs cas de violences graves perpétrées dans l’enceinte de collèges : gifles, coups de ceinture, tabassages. »5
Exemples concernant la séparation entre les musulmans et les " mécréants " issus du même rapport :
« Un grand nombre d’élèves d’origine maghrébine, Français voire de parents français, se vivent comme étrangers à la communauté nationale, opposant à tout propos deux catégories : les “Français” (les " mécréants ") et “nous” (les croyants). »6
« L’obsession de la pureté est sans limite : à ces élèves d’une école primaire qui avaient institué l’usage exclusif des deux robinets des toilettes, l’un réservé aux « musulmans », l’autre aux « Français », répond la demande récente d’un responsable local du culte musulman à l’inspecteur d’académie d’un important département urbain, d’instituer des vestiaires séparés dans les salles de sport, car selon lui "un circoncis ne peut se déshabiller à côté d’un impur". »7
La conquête salafiste consiste à augmenter progressivement la taille des territoires contrôlés jusqu’à atteindre une taille critique leur permettant de faire plier le reste de la population.
Il y a actuellement chez les salafistes en Europe deux tendances, les djihadistes et les quiétistes. Pour les djihadistes (minoritaires), il faut combattre les " mécréants " par le terrorisme pour imposer l’islam. Pour les quiétistes, compte tenu du caractère encore majoritaire des " mécréants " en Europe, cette stratégie est vouée à l’échec, il faut au contraire islamiser progressivement la population sans braquer les pouvoirs publics.
C’est la stratégie de la grenouille : lorsque l’on plonge une grenouille dans l’eau bouillante, elle tente de se débattre pour échapper à son sort, alors que si on la plonge dans l’eau froide et que l’on monte progressivement la température de l’eau, le batracien va se laisser ébouillanter sans se débattre.
Ainsi les quiétistes tentent de neutraliser les djihadistes et de les empêcher de commettre des attentats qu’ils estiment parfaitement contreproductifs.
3 KEPEL Gilles, Fitna, éditions Gallimard, Paris, 2004, p. 303.
4 Rapport du Ministère de l’Éducation National, Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires, juin 2004, p.20.
5 Ibid, p.21.
6 Ibid, p.23.
7 Ibid, p.16.