On appelle « Passion » la période de la vie du Christ allant de son arrestation à sa crucifixion. Les évènements qui vont se dérouler durant cette période vont mettre en lumière toute la radicalité de l’amour évangélique et par là même dévoiler ce qu’est pour les chrétiens la véritable nature de Dieu.
Avant son arrestation Jésus sait que Juda, un de ses disciples s’apprête à le trahir pour gagner quelques pièces d’argent. Malgré cela il partage avec lui son dernier repas (la cène), et le laisse partir accomplir sa besogne.
Jésus sait ce qui l’attend. Il est seul, les disciples n’ont rien compris, ni ce que s’apprête à faire Juda, ni ce qu’il s’apprête à vivre, ni finalement le sens de son message qu’ils ne comprendront qu’après sa mort. Alors qu’il leur a demandé de prier durant ces heures cruciales ils s’endorment.
L’important dans la crucifixion, ce n’est pas seulement son caractère douloureux, mais c’est surtout qu’il s’agit d’une mort humiliante, d’une mort qui plus que tuer l’homme veut tuer ce qu’il représente. Walter Kasper nous éclaire ici sur cet aspect fondamental de la crucifixion :
« La crucifixion était une forme romaine d’exécution. Elle fut surtout utilisée contre les esclaves (…). Les citoyens romains ne pouvaient pas être crucifiés mais seulement décapités. La crucifixion ne passait pas seulement pour un supplice atroce, mais également pour une peine particulièrement discriminatoire. Lorsque les Romains infligeaient la peine de mort des esclaves aux combattants révoltés pour la liberté, cela était considéré comme une horrible dérision. Cicéron écrit : “ La notion de croix doit être loin des citoyens romains, non seulement dans leur chair, mais de leurs idées, de leurs yeux, de leurs oreilles. ”3 Entre honnêtes gens, il n’est même pas permis de parler d’une mort aussi ignominieuse. »4
Au moment où les soldats romains viennent l’arrêter il empêche ses disciples de sortir les armes pour le défendre. Les disciples fuient, car pour eux c’est l’incompréhension.
Paradoxalement Juda est peut-être le premier disciple à comprendre ce qui est en train de se jouer et se suicide pour avoir été un des protagonistes du drame qui commence.
Sans doute ses accusateurs auraient-ils préféré que Jésus se soit enfui, ce qu’il aurait pu faire à plusieurs occasions ; mais il fait face, il ne se dérobe pas. Il aurait pu se défendre, entrer dans leur jeu, mais il s’y refuse. Pilate, qui doit arbitrer le procès, ne comprend pas les motifs d’accusations et décide de laisser la foule arbitrer à sa place. La foule, excitée par les accusateurs, demande que Jésus soit crucifié.
La mécanique de la crucifixion peut commencer. Les soldats romains chargés de cette besogne cherchent à l’humilier, à le déshumaniser, à réduire à néant tout ce que peut représenter le Christ :
« Les soldats du gouverneur (…) lui ôtèrent ses vêtements, et le couvrirent d'un manteau écarlate. Ils tressèrent une couronne d'épines, qu'ils posèrent sur sa tête, et ils lui mirent un roseau dans la main droite ; puis, s'agenouillant devant lui, ils le raillaient, en disant : “ Salut, roi des Juifs ! ” Et ils crachaient contre lui, prenaient le roseau, et frappaient sur sa tête. Après s'être ainsi moqués de lui, ils lui ôtèrent le manteau, lui remirent ses vêtements, et l'emmenèrent pour le crucifier. »5
Ils lui font alors porter l’objet de son propre martyr, cette croix en bois qui l’écrase sous son poids, et qu’il doit amener sur le lieu de sa mise à mort.
« Lorsqu'ils furent arrivés au lieu appelé Crâne, ils le crucifièrent (…). Jésus dit : Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font (…). Le peuple se tenait là, et regardait. Les magistrats se moquaient de Jésus, disant : Il a sauvé les autres ; qu'il se sauve lui-même, s'il est le Christ, l'élu de Dieu ! (…) Il était déjà environ la sixième heure, (…) Jésus s'écria d'une voix forte : Père, je remets mon esprit entre tes mains. Et, en disant ces paroles, il expira. »6
Pour les bourreaux du Christ cette humiliation est la preuve que Jésus n’est pas le Fils de Dieu, car il est impossible que Dieu, le Tout Puissant, l’Éternel, laisse ainsi crucifier son fils.
Pour les chrétiens au contraire la croix est le signe de la véritable puissance de Dieu, le signe de cet amour plus fort que la haine. Ainsi pour eux, si les bourreaux du Christ se croient libres, et voient dans Jésus sur la croix le dernier des esclaves, ce sont en réalité eux les esclaves, esclaves de leurs peurs, esclaves de leur orgueil, esclave de leur haine, et lui qui est libre, libre de les aimer malgré tout.
Si la croix est le symbole des chrétiens, ce n’est pas par masochisme ou par dolorisme, mais parce que la croix constitue pour eux l’ultime dévoilement de la véritable nature de Dieu, le témoignage le plus radical d’un amour sans limite.
Avant son arrestation Jésus donne à ses disciples ce dernier commandement : « aimez vous les uns les autres comme je vous ai aimé », ce « comme je vous ai aimé » prend avec la Passion toute sa force.