Du Sacrement aux sacrements
Lorsque l’on regarde l’Église de l’extérieur, on en perçoit souvent les manifestations liturgiques : messes, baptêmes, mariages... Le cœur de toutes ces liturgies est constitué par un sacrement, l’eucharistie pour la messe, le sacrement du baptême, celui du mariage… Un sacrement est un signe visible qui rend compte et active une réalité invisible. Par exemple la poignée de main peut être un « sacrement » de l’amitié. L’amitié est invisible, lorsque deux personnes se croisent, rien a priori n’indique si elles sont amies ou pas, la poignée de main rend visible et renforce, cette amitié invisible.
Dans le christianisme, le Sacrement c’est le Christ ; Jésus rend visible au regard des hommes, un Dieu invisible qui est amour : « Celui qui m’a vu a vu le Père »1. Le Père est invisible, Jésus par sa vie rend visible le Père.
Pour les chrétiens, le Christ continue d’agir aujourd’hui et l’un des moyens par lequel il agit, ce sont les sacrements donnés par l’Église. Les sacrements diffèrent selon les époques et les Églises. Certaines Églises protestantes ne pratiquent que le baptême, d’autres comme les catholiques et les orthodoxes proposent le baptême, le mariage, l’eucharistie, la réconciliation… Mais ce qu’il faut comprendre c’est que derrière cette diversité apparente, les sacrements relèvent tous du même principe : ils sont l’extension dans l’espace et le temps du Sacrement qu’est le Christ. Les sacrements rendent visibles et activent la présence du Christ, aujourd’hui invisible.
Il y a deux mille ans Jésus agissait sur les chemins de Galilée par ses paroles, ses gestes, ses miracles… aujourd’hui, il est présent dans le baptême de Ling, un jeune Chinois de la banlieue de Pékin ; il est présent dans cette hostie que Rodrigo, un vieux Chilien, s’apprête à consommer ; il est présent dans la chapelle de ce petit village italien où Lucia et Salvatore sont en train de se marier.
Devenir sacrement
Si ces sacrements sont nécessaires pour faire exister l’Église, leur finalité est que l’Église devienne elle-même sacrement pour le monde.
La seule et unique finalité de l’Église c’est d’être, pour le monde d’aujourd’hui, le sacrement, le signe visible d’un Dieu qui est amour. C’est sa seule raison d’être. Elle est l’actualité du Christ, elle est en quelque sorte le sacrement, du Sacrement qu’est Jésus.
Sans l’Église, le christianisme serait enseigné comme l’Égyptologie, dans les livres d’histoire.
Saint Paul disait pour définir l’Église, qu’elle est « le corps du Christ ». Elle est le Christ aujourd’hui. Elle se « nourrit des sacrements » rendant ainsi effective la présence du Christ en elle, pour devenir elle-même sacrement. Devenir chrétien c’est donc devenir le sacrement, le signe visible d’un Dieu qui est amour.
Déjà mais pas encore
Les chrétiens ont bien conscience qu’il existe une distance entre ce à quoi ils sont appelés et ce qu’ils sont concrètement. C’est pourquoi dans la liturgie catholique, le premier temps de la messe est la reconnaissance par les chrétiens qu’ils sont pécheurs, c'est-à-dire la reconnaissance de leurs manquements à l’amour, de leur refus de Dieu, de leur difficulté à briser ce cœur de pierre.
Il y a ainsi une tension dans la vie chrétienne, une tension qui se résume dans la formule « déjà mais pas encore ». Avec la venue du Christ, les chrétiens savent qu’ils sont déjà enfants de Dieu, néanmoins cette vie terrestre manifeste qu’ils ne le sont pas encore en plénitude.
Il est intéressant à ce propos de s’arrêter un instant sur la formulation des dix commandements. Ils ont tous la même structure, prenons par exemple le neuvième :
« Tu ne porteras point de faux témoignage. »2
Souvent en lisant rapidement cette injonction, on la comprend ainsi : « Tu ne dois pas mentir. » Il y a sans aucun doute dans les dix commandements une teneur prescriptive, néanmoins on ne peut pas les réduire à cela. Il y a dans les dix commandements une autre dimension que l’on oublie souvent. En effet si l’on observe attentivement ces injonctions, on constate d’une part que tous les commandements sont au futur3 et d’autre part que Dieu ne dit pas « tu ne devras pas mentir » mais « tu ne mentiras pas ». Il y a dans les dix commandements comme une promesse que Dieu fait à l’homme : « Un jour je te le promets, tu ne mentiras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage. »
Il y a là pour le chrétien une promesse de libération à venir. Certes, le chrétien doit s’efforcer d’être à l’image de Dieu, d’être le sacrement de Dieu, néanmoins il sait que dans les méandres de son humanité il y a des résistances à cette divinisation. Aussi tient-il cette promesse de Dieu qu’un jour ces résistances brûleront pour laisser émerger son véritable visage d’enfant de Dieu. Il est d’ailleurs intéressant de souligner que Dieu donne ses dix commandements, ses dix promesses de libération, précisément au moment où il libère le peuple hébreu de l’esclavage en Égypte, pour le mener à la Terre Promise. Il y a là une symbolique très forte.
Pour Saint Paul, il existe trois vertus fondamentales pour un chrétien4 : la foi, l’espérance et l’amour, l’amour étant la plus grande des trois5.
L’amour et la foi ont un caractère évident. Nous mettons en lumière ici l’espérance comme vertu fondamentale, car elle empêche le chrétien de se résigner devant les malheurs de ce monde, devant ses propres résistances à la divinisation. L’espérance empêche le chrétien de perdre la foi dans l’amour.
Ainsi l’Église est, selon l’expression de Saint Paul, le corps du Christ. Un corps malade, un corps en proie aux turpitudes de ce monde, mais un corps qui traverse les siècles, un corps qui sait et qui témoigne de cette promesse de Dieu qu’un jour l’amour aura le dernier mot.
Versets
1 Bible (Jn 14, 9)
2 Bible (Ex 20, 16)
3 En hébreu un verbe peut prendre deux formes, celle de l’accompli et celle de l’inaccompli, le futur est ici la traduction de l’inaccompli.
4 Ces trois vertus sont appelées aussi les trois vertus théologales, trois vertus qui viennent de Dieu.
5 Bible (1Co 13, 13)